mediapartL’article proposé sur son blog du club Mediapart par Lucile Longre a touché Alain Belkarmi, éducateur spécialisé, coordinateur du GEM d’Albi. Le titre est, à lui seul, tout un programme : L. Longre évoque la « fraternité invisible » qui se noue chaque jour, notamment au sein des groupes d’entraide mutuelle, et qui induit la notion de pair-aidance, c’est-à-dire l’émergence d’un nouveau type de professionnels patients, ou patients professionnels, qui sont amenés à devenir, en tant qu’experts de leurs troubles, des points « repère » pour les personnes entrant dans le monde psychiatrique et/ou étant en proie à des problématiques lourdes. Lucile Longre relève toute les difficultés de ce nouveau concept, en ce qu’il brise la frontière historique soignant/soigné et amène, de fait, une redéfinition des perceptions et de sensibilités institutionnelles dans le secteur médical et médico-social. En ce sens, les GEM et les médiateurs de santé-pairs imposent, au-delà d’une rupture, une révolution dans l’histoire des pratiques psychiatriques.

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Les associations de patients, et en particulier les GEM (groupe d’entraide mutuelle), sont une expérience originale, menée par des malades pour des malades.

(…)

L’innovation du GEM tient à ce que pour la première fois des personnes présentant un handicap psychique et/ou cognitif sont invitées par les pouvoirs publics à se responsabiliser en prenant une part active à la définition et à l’organisation d’un projet les concernant : le projet d’entraide du GEM dont ils peuvent librement fixer les modalités.

Le but poursuivi est le désenclavement d’une population souffrant plus particulièrement d’isolement et d’exclusion sociale en instaurant à la fois des liens sociaux réguliers entre pairs et avec le reste de la cité. Le GEM est une entité juridique indépendante organisée en association loi 1901 composée d’adultes présentant des troubles psychiques ou des troubles cognitifs (cérébrolésés en particulier) sans avoir nécessairement une reconnaissance de handicap (…). »

Ces GEM jouent actuellement un rôle très important pour la resocialisation et la vie quotidienne des malades psychiques, en leur fournissant un cadre de vie, hors de l’hôpital, où leurs troubles seront pris en compte, où ils ne se sentiront pas jugés ou examinés, mais bénéficieront au contraire de l’appui et des conseils de leurs pairs. C’est là que les « anciens » ou les personnes stabilisées et ayant appris à « faire avec » la maladie peuvent être d’une aide précieuse pour les nouveaux arrivants. C’est un cadre contenant et sécurisant, et en même temps un lieu de vie non médicalisé, où des activités de loisirs et des réunions d’information peuvent être organisées.

Pour certains, le GEM sera un passage, un lieu où ils auront appris à vivre le mieux possible avec leur maladie, un endroit pour renouer avec une certaine vie sociale, leur permettant ensuite de voler de leurs propres ailes, voire même de reprendre une activité professionnelle.

Pour d’autres, plus durement atteints ou ayant moins de ressources internes et de capacités de faire face à la maladie, le GEM (à côté de la fréquentation, souvent nécessaire, de l’hôpital), va devenir la pierre angulaire de leur vie, là où ils se sentent enfin écoutés et compris, loin du regard social ou médical. On ne dira jamais assez tous les bénéfices que les malades psychiques peuvent retirer de ces espaces de socialisation et d’entraide, qu’il s’agisse juste d’une halte passagère ou d’un moment plus durable.

Enfin, il était impossible de parler de solidarité entre malades sans évoquer le cas, hautement problématique, des « médiateurs de santé-pairs »

: « Dans le champ de la santé mentale, l’intégration en tant que professionnels, dans les équipes soignantes, de personnes ayant vécu un trouble psychique et s’étant rétablies, tend à se développer. En France, un projet expérimental « médiateurs de santé-pairs » a débuté en janvier 2012.

Le médiateur de santé-pair est « un membre du personnel qui, dans le cadre de son travail, divulgue qu’il vit ou qu’il a connu une période de trouble psychique. Le partage de son vécu et de son histoire de rétablissement, ou de son savoir expérientiel, a pour but de redonner de l’espoir, de servir de modèle d’identification, d’offrir de l’inspiration, du soutien et de l’information auprès de personnes qui vivent des situations similaires à celles qu’il a vécues » (Site internet de l’AQRP  : Programme québécois Pairs Aidants Réseau). »

Il est en effet complexe de définir précisément le statut de ces personnes, professionnel, « ancien » malade, et que faire si jamais ils rechutent ? Quelle position vis-à-vis de gens formés et diplômés, et en même temps, ces personnes disposent d’une expérience de vie irremplaçable, que jamais aucune formation universitaire n’apportera et d’un contact avec les malades beaucoup plus proche et aisé. Comme on le voit la situation est complexe et on  ne peut trancher d’un coup. Le projet Emilia, « inclusion sociale par la formation des personnes vivant avec un trouble psychique » est là pour nous montrer que certaines personnes ayant un trouble psychique ont sans doute plus de ressources et de compétences qu’on ne le pense généralement, et que leur rôle comme usagers-experts dans les milieux psychiatriques est sans doute à redéfinir et à reconsidérer.

Il existe bien une sorte de fraternité, invisible ou insue parfois, entre personnes ayant souffert du même trouble ou du même type de traumatisme, et des structures ou des instances existent pour faire apparaître au grand jour et pérenniser cette connivence, pour laquelle on a formé le concept de pair-aidance. Les GEM, en particulier, sont une structure d’entraide pour des malades, conçues, et administrées aussi parfois, par des malades. Mais cet esprit de solidarité et d’entraide peut aller encore plus loin, avec l’apparition de « médiateurs de santé-pairs », sorte d’usagers–experts, professionnels qui ont un poste de travail dans les hôpitaux psychiatriques, comme interface entre médecins, infirmiers et patients. Ce statut, problématique, est à considérer avec attention et comme ressource possible, comme le voit avec le projet Emilia.

Lucile Longre »

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Merci à Lucile Longre, qui nous a volontiers donné son autorisation pour que nous reproduisions son essai. Elle ajoute : « J’ai écrit ce billet, comme d’autres sur le sujet de la santé, dans le but de transmettre mon expérience et d’échanger des points de vue.
Si vous voulez prendre connaissance d’autres articles, plus long, sur le sujet de la santé et du handicap, voir mon blog suivant https://lejardindepensees.com/. »

 

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